3 mars 2021-3 mars 2023 ! Il y a deux ans que le Sénégal a été secoué par une série de manifestations violentes suite à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko accusé de viols répétés et menaces de mort par une masseuse du nom de Adji Sarr. La répression sanglante qui s’ensuivit a fait 14 morts et 600 blessés. Le spectre d’un remake rôde (avec ce procès en diffamation ce 16 mars) au moment où les familles des victimes pleurent encore.
Les démons de la division avaient pris leurs quartiers au Sénégal. Le pays de la ‘’Téranga’’ qui trimballait jusqu’alors, dans une sous-région très tendue, la fière réputation d’oasis de paix dans un océan de terreur, a effroyablement vacillé. Les germes d’une journée noire étaient déjà plantés dès les premières heures de la matinée du mercredi 3 mars 2021. Le leader de Pastef, Ousmane Sonko, convoqué par le juge du 8e cabinet d’instruction de Dakar Mamadou Seck pour répondre des accusations de « viol et menaces de mort » porté par la masseuse Adji Sarr (les faits se seraient passés dans la nuit du 2 au 3 février 2021 au salon Sweet Beauté), a été arrêté alors qu’il se rendait au tribunal.
Extrait de son véhicule qui a été bloqué à hauteur du rond-point de Mermoz par une ‘’armée’’ de Gign et d’éléments de la Bip, Sonko est directement conduit, manu militari, à la section de Recherche de la gendarmerie. Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. C’est le début d’une série sanglante de manifestations qui embrasent tout le pays d’Est en Ouest et du Nord au Sud. En fait, cette étincelle (l’arrestation d’Ousmane Sonko) a mis le feu à la poudrière extrêmement explosive marquée par la charge détonante des restrictions et les rudes conséquences de la Covid-19. Ce qui explique, en effet, l’ampleur de la déflagration.
La jeunesse sénégalaise touchée de plein fouet par la crise Covid perçoit ce dossier de viol comme un « complot ourdi par le pouvoir pour éliminer Ousmane Sonko (3e à la présidentielle de 2019) », devenu incontestablement chef de l’opposition après le ralliement de Idrissa Seck en Novembre 2020. Se dressant comme un seul homme, des centaines de milliers de jeunes sénégalais déversent leur courroux dans les rues de la capitale et des autres villes du Sénégal exigeant la libération pure et simple de l’opposant en garde à vue à la section de recherche.
Total, Auchan…les symboles français pris pour cible
La vague en furie détruit tout sur son passage. Mais la cible prioritaire semble être les symboles du « néocolonialisme » français tant décrié en Afrique tels que : les stations-service Total et les supermarchés Auchan du géant français de la grande distribution. Ces entreprises françaises sont pillées puis incendiées par les manifestants très difficile à maîtriser. Au total, 14 magasins Auchan ont été pillés et incendiés. D’autres enseignes françaises comme Total, Eiffage et Orange ont également payé un lourd tribut.
Une expansion contagieuse du sentiment anti-français en Afrique, selon plusieurs observateurs qui invoquent les manifestations contre l’ancienne puissance coloniale au Mali, en Guinée et au Burkina Faso pour étayer leur argumentaire.
Sous pression, le juge Mamadou Seck se désiste
Les heurts entre forces de l’ordre et jeunes manifestants ne se sont pas estompés le lendemain, jeudi 4 mars. Au contraire, ils se sont exacerbés notamment dans le sud du pays précisément à Bignona, fief de Ousmane Sonko. D’ailleurs le premier mort est noté dans cette ville dans la matinée du 4 mars. Cheikh Coly, un jeune manifestant de 20 ans meurt après avoir été touché à bout portant par une balle. L’armée sénégalaise appelée en renfort sur les lieux pour rétablir l’ordre dégage toute responsabilité signalant que nulle part dans la réquisition qui leur a été adressée il n’a été fait mention d’usage d’arme à feu.
La pression monte encore d’un cran après ce drame. Dans la même journée, deux autres morts ont été enregistrés à Bignona et à Keur Massar, les manifestants se radicalisent et changent de cible. En plus des enseignes françaises et des symboles de la République (Gendarmerie, commissariat, palais de justice), ils se tournent alors vers les domiciles des tenants du pouvoir (les maisons familiales du ministre de l’intérieur Antoine Diome, Marième Faye Sall, Me El hadji Diouf…incendiés). Face à cette situation inédite et extrêmement dangereuse, le juge Mamadou Seck, en charge du dossier, se désiste pour convenance personnelle évoquant des pressions familiales.
Le défunt doyen des juges Samba Sall, qualifié (avec le procureur Serigne Bassirou Guèye et le juge Mamadou Seck) par Ousmane Sonko comme membre du « Triangle des Bermudes » de la justice sénégalaise, hérite du chaud dossier. La pression ne désenfle pas malgré les nombreux appels au « calme » de la communauté internationale et des guides religieux. Dakar est devenue une capitale à feu et à sang où toute activité est à l’arrêt.
Serigne Mountakha Mbacké, le sapeur-pompier
Après plusieurs jours de heurts sanglants, le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké dépêche une délégation aux différents protagonistes pour arrondir les angles et sauver les meubles. Un compromis est trouvé le vendredi 5 mars 2021. Le leader de Pastef, Ousmane Sonko sera finalement libéré le lundi 8 mars et placé sous contrôle judiciaire.
Au total, les manifestations de mars 2021 ont fait 14 morts, et plus de 600 blessés. Plusieurs dégâts matériels ont été notés allant des domiciles des autorités étatiques, aux magasins Auchan. Donc plusieurs milliards de pertes. La presse également a fait les frais de la furie des manifestants. En effet, les locaux du quotidien national Le Soleil et ceux de la Rfm ont été saccagés et des journalistes menacés de mort. Les chaînes de télévision WalFadjri et Sen Tv quant à elles, ont vu leur signale coupé pendant 72 heures par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) qui pointe des « appels répétés au soulèvement populaire ».
2 ans après, les familles des victimes réclament une enquête
Deux ans après ces douloureux évènements, le dossier de viol contre Sonko a, lui, été agité à nouveau avec une décision du nouveau doyen des Juges (le 18 janvier dernier) de renvoyer l’opposant à la chambre criminelle. L’enquête promise par les autorités pour faire la lumière sur ces évènements de mars et situer les responsabilités, quant à elle, est toujours au point mort. Aucun acte allant dans ce sens n’a été posé par le gouvernement.
Les familles des 14 victimes lancent un cri du cœur. Elles réclament justice pour enfin faire leur deuil.