Chaque saison des pluies, le Sénégal vit le même cauchemar : routes impraticables, quartiers sous les eaux, familles déplacées, pertes économiques colossales. Dakar, Pikine, Saint-Louis, Kaolack, Rufisque ou Touba paient le prix d’une urbanisation rapide et souvent mal maîtrisée, aggravée par les effets du changement climatique. Ces inondations répétées ne sont pas un simple problème d’évacuation des eaux : elles sont le symptôme d’un modèle de développement urbain qui ne prend pas assez en compte les risques naturels.
Pourquoi le Sénégal est-il encore si vulnérable ?
Urbanisation anarchique et pression démographique
À Dakar, des zones anciennement marécageuses comme Yeumbeul, Médina Gounass ou Dalifort ont été loties sans études hydrologiques sérieuses. Les populations, faute d’alternatives, construisent sur des zones basses ou inondables,
aggravant leur propre exposition.
Infrastructures inadaptées ou mal entretenues
Les réseaux de drainage, conçus il y a plusieurs décennies, ne supportent plus les pluies intenses. Le manque d’entretien régulier (caniveaux obstrués, bassins colmatés) transforme chaque pluie forte en catastrophe.
Accélération du changement climatique
Les épisodes pluvieux sont plus intenses et imprévisibles. En août 2022, des pluies record ont paralysé Dakar en quelques heures, et en août 2025, certaines zones ont enregistré plus de 100 mm en une journée. La montée du niveau de la mer menace aussi les zones côtières comme Saint-Louis, déjà en proie à l’érosion et aux intrusions marines.
Des enjeux multidimensionnels
Humains et sociaux : les quartiers populaires sont les plus touchés, renforçant les inégalités.
Sanitaires : eaux stagnantes favorisant choléra, paludisme et autres maladies hydriques.
Économiques : chaque inondation entraîne la paralysie des transports et du commerce, avec
des pertes chiffrées en milliards de FCFA.
Politiques : la récurrence de ces crises mine la confiance entre les citoyens et les autorités.
Quelles solutions concrètes ?
Repenser la planification urbaine
Stopper l’occupation des zones inondables : des villes comme Lagos (Nigeria) ou Maputo (Mozambique) ont adopté des plans directeurs identifiant les zones interdites à la construction. Relocaliser les familles exposées : à Saint-Louis, certains programmes soutenus par la Banque mondiale ont déjà déplacé des populations vulnérables face aux crues du fleuve.
Intégrer la gestion des risques dans les documents d’urbanisme (Plans Directeurs d’Urbanisme, PLU, Plans communaux de sauvegarde).
Moderniser et entretenir les infrastructures
Développer des bassins de rétention urbains comme ceux de Rotterdam (Pays-Bas) ou de
Singapore, qui transforment l’eau pluviale en ressource. Mettre en service des stations de pompage efficaces : l’exemple de l’Unité 24 des Parcelles Assainies, où le pompage de 300 m³/h a fait baisser le niveau d’eau de 95 cm à 45 cm en
quelques heures, montre que des solutions techniques existent. Favoriser des voiries perméables et l’infiltration naturelle de l’eau au lieu d’un simple rejet.
Développer une culture de prévention et d’anticipation
Cartographier précisément les zones à risque avec des drones et satellites (comme le fait Kigali,
Rwanda). Mettre en place des plans d’urgence locaux, identifier les lieux d’évacuation, stocker du matériel
de secours. Sensibiliser les populations à l’importance de garder les canaux et collecteurs propres pour éviter l’obstruction des réseaux.
S’inspirer des meilleures pratiques internationales
Abidjan (Côte d’Ivoire) a mis en place un vaste programme de drainage avec l’appui d’institutions internationales.
Cape Town (Afrique du Sud) utilise des solutions fondées sur la nature (zones humides restaurées, corridors verts) pour absorber les excès d’eau. Rotterdam (Pays-Bas), ville construite en dessous du niveau de la mer, est devenue un modèle
mondial grâce à une stratégie combinant infrastructures, planification et espaces publics multifonctionnels.
Les inondations au Sénégal ne sont pas une fatalité. Elles révèlent les failles de l’urbanisation, du drainage et de la gouvernance, mais offrent aussi une opportunité : bâtir des villes résilientes et durables.
La clé ? Anticiper plutôt que subir, investir dans des infrastructures modernes, planifier la ville intelligemment et s’inspirer des meilleures pratiques en Afrique et dans le monde. Avec une volonté politique forte, une mobilisation des collectivités et une coopération internationale, le Sénégal peut transformer chaque crise en levier pour repenser son avenir
urbain. Bien cordialement
Ndemba DIALLO
Géographe – urbaniste – aménagiste et planificateur des projets Urbain