Papa Ngady Faye est un immigré sénégalais en Italie. Arrivé illégalement il y a 17 ans dans le sud de l’Italie, il a commencé à vendre des livres dans la rue un peu par hasard. Des années plus tard, il a obtenu la nationalité italienne et fondé sa maison d’édition itinérante pour fournir aux vendeurs de livres des ouvrages de qualité.
L’Italien du Sénégal
Papa Ngady Faye est né en 1970 à Dakar. Ses parents sont originaires de Sokone, dans l’ouest du pays. Il fait partie de la caste des griots, les bardes sénégalais. « Mon père est un lion rigoureux. Ses paroles sont des cadeaux et on l’a compris quand on est arrivé ici », se souvient le vendeur de livres, la voix douce, mais hésitante, de celui qui n’a pas parlé français depuis longtemps. « Il nous disait : « Il faut toujours savoir que rien n’est gratuit dans la vie, il ne faut jamais tenter d’avoir les choses facilement. » Parce qu’aujourd’hui, tu es ici, mais demain, tu ne sais pas où tu passeras la nuit. » Après l’école, Papa Ngady Faye travaille comme docker dans le port de Dakar, puis comme chef de chantier pour un entrepreneur immobilier.
Au bout de quelques années à travailler, il décide de partir en Europe. Avec un visa français, le jeune père de 35 ans, qui a laissé sa femme et ses deux filles au Sénégal, entre en Italie en juillet 2005. Pourquoi l’Italie ? Pour son mode de vie. « J’aimais leur manière de s’habiller : je m’habillais bien au Sénégal, à tel point que beaucoup de mes amis m’appelaient déjà « l’Italien »… Et j’ai toujours soutenu l’Italie au foot », s’amuse-t-il. Preuve de son attachement à son père, là-bas, il se fait appeler Amadou, comme lui. Papa Ngady Faye pour le Sénégal, Amadou, pour l’Italie… sans jamais oublier ni l’un ni l’autre : il garde des liens forts avec sa terre et sa famille restée au pays.
Hélas, seulement cinq mois après son arrivée, sa femme sénégalaise décède dans son pays d’origine. Il trouve un soutien dans la douleur. « Tu trouveras toujours des personnes qui t’aideront, qui te guideront, il y a de nombreux Sénégalais ici qui vendent beaucoup de vêtements, de livres, de bracelets. Et moi, j’ai eu la chance de rencontrer la vente de livres », reconnaît-il.
Pourtant, ce n’était pas gagné. À l’origine, il n’est pas particulièrement attaché à la littérature, même s’il s’y dit sensible. Il est même plutôt déçu de ne pouvoir travailler comme maître de chantier. Rapidement cependant, il se laisse conquérir par l’expérience. « J’étais beau, j’étais jeune, j’étais souriant. Je trouvais que des personnes mal habillées avaient plus de difficulté à gagner de l’argent, donc je m’habillais bien, j’étais poli… Les gens venaient prendre des photos avec moi ! ». Surtout, il aime le contact avec les gens et les échanges qui s’ensuivent.
De vendeur à conteur
Quatre ans plus tard, une rencontre va véritablement changer sa vie là-bas. Celle avec son ex-femme, Antonella Colletta. Il l’a rencontrée par hasard, sur une plage, en lui vendant un livre : ça ne s’invente pas. Elle est professeure de français, traductrice et chercheuse en littérature africaine et antillaise francophone. Sans même s’en rendre compte, comme un vrai griot, il lui conte sa vie et, passionnée, cette dernière se décide à la coucher sur papier : « On parlait de manière naturelle, comme ça, et le livre s’écrivait petit à petit. Quand elle me l’a lu, je suis resté une journée sans comprendre ce qu’il s’était passé (rires). »
Le livre raconte sa vie, celle d’Amadou. Il y file la métaphore du thé à la menthe, une boisson très importante au Sénégal ; et chaque gorgée le ramène en arrière, laissant découvrir sa vie peu à peu. « Ce livre, c’est mon livre, parce que j’avais une femme qui a pu traduire mes émotions. J’ai réussi à raconter cette histoire, parce que c’est la mienne : ce livre, c’est moi », dit le conteur. Là, tout change. Si Dieu le veut. Le destin d’un vendeur de livre se vend bien : il changera néanmoins son titre par Le Vendeur de Livres, pour que tous les vendeurs de livres puissent s’y projeter. Il est invité dans des séminaires, des émissions de radios, donne des interviews.
Le vendeur itinérant s’est même retrouvé à faire un discours devant des étudiants à Paris, pour décrire ce que c’est d’être un leader. Il dit notamment à l’assemblée : « Les gens aujourd’hui ne lisent plus. Quand ils te voient avec des livres dans les rues, ils ne te considèrent pas comme un travailleur. Mais si tu as cette intelligence sociale, tu avances. Un leader doit être patient, car si tu n’es pas patient, tu n’iras nulle part. C’est la patience qui permet de comprendre la vie, de rencontrer du monde : dans mon travail, je côtoie tout le monde, la personne fâchée comme la personne généreuse, et j’apprends à les écouter. »
Un bout du Sénégal à transmettre
Aujourd’hui naturalisé italien, Papa Ngady Faye fournit les vendeurs de livres itinérants. Son association s’appelle Modu Modu, du wolof qui pourrait notamment se traduire par : « Ceux qui partent en pensant à leur terre d’origine ». Car aujourd’hui, les vendeurs de livres que Papa Ngady Faye accompagne ne vendent plus n’importe quels livres. « J’en avais assez qu’on me dise que les livres que nous vendions étaient des faux, pleins d’erreurs, que les histoires n’avaient aucun sens… On a donc voulu amener dans les rues italiennes la littérature africaine, dans de bonnes éditions. Car la forme est aussi importante que le fond », rappelle-t-il. Faire découvrir des auteurs, partager une culture et en vivre.
Pour ce faire, il s’envole pour le Sénégal et se présente dans une maison d’édition. Il parle de son projet de créer une maison d’édition itinérante pour promouvoir la littérature africaine. Solide dans son argumentaire, il arrive finalement à obtenir des droits, se remémore-t-il fièrement. « J’ai ramené les deux titres que je voulais : ‘Une si longue lettre’, de Mariama Bâ, et ‘L’appel des Arènes’, d’Aminata Sow Fall, nos écrivaines, celles que nous, Sénégalais, avons dans la peau… » Depuis, il arpente inlassablement les écoles, les bibliothèques, aide les vendeurs de livres à obtenir des bons livres, pour importer la culture littéraire africaine en Italie.