Président-directeur général et fondateur du cabinet 3B Conseils Rh accompagnement Sénégal/France, Boubacar Biro Ba est engagé dans la lutte contre la migration irrégulière par la promotion de la migration de travail. Pour combler un manque d’emploi dans des métiers en tension en France d’une part, et d’autre part, permettre aux demandeurs d’emploi ou autres jeunes et femmes de voyager régulièrement, il nourrit l’ambition de retourner dans son pays. Dans cet entretien, cet ancien boursier de l’Etat du Sénégal, qui a mis en place un cabinet de recrutement au Sénégal et en France sur la question de la gestion de la migration des jeunes, demande à l’Etat d’initier des concertations avec ses partenaires européens pour discuter de la question des visas.Vous avez mis en place au Sénégal et en France, un cabinet spécialisé dans le recrutement. Comment vous vous y prenez pour promouvoir la migration régulière par le travail ?
Je travaille déjà avec des entreprises privées en France. Ces entreprises ont besoin de recruter. Il y a des métiers qui sont en tension. C’est le ministère de l’Intérieur qui liste les métiers en tension. Pour ces métiers en tension, il n’y a pas besoin de l’opposabilité de l’emploi. Sous ce rapport, ce sont des métiers qui sont ouverts. 3B Conseils travaille sur ces métiers pour faire venir de la main-d’œuvre. Je prends l’exemple d’un jeune qui est au Sénégal et qui est mécanicien. Je connais en France une entreprise qui a besoin d’un mécanicien en poids lourd. C’est en manque. Dans ce cas, l’entreprise formule la demande. Ensuite, on se charge de lancer l’appel d’offres au Sénégal pour permettre aux jeunes de tenter leur chance. A la suite du dépôt des dossiers, on procède à la sélection des Cv, la vérification du dossier, on fait l’entretien, la vérification des références, etc. Une fois que tout ceci est fait, on fait la sélection finale avant de mettre en relation l’employeur et la personne concernée. On a certaines entreprises lorsqu’elles veulent recruter beaucoup de main-d’œuvre, elles effectuent le déplacement au Sénégal. Vous n’en avez jamais entendu parler. En fait, elles viennent au fin fond du Sénégal pour faire leur entretien et sélectionner leurs futurs employés, en lien avec 3B Conseils en nous indiquant leur choix. A notre tour, nous lançons les autorisations de travail auprès du ministère et on suit le dossier. Une fois que tout est fait, on monte le dossier de demande de visa et s’en suivent les entretiens Ofii. Si la personne a le visa, elle vient travailler. Il nous arrive parfois que la personne n’ait pas le visa alors que l’employeur l’a déjà choisie. En pratique, c’est ce qu’on fait. Ce sont des jeunes qui ont des contrats avant même de quitter le pays.
Comment rendre viable et pérenne la migration de main-d’œuvre, selon votre expérience, entre le Sénégal et la France ?
Je pense qu’il faut confier ce travail à des privés, à des cabinets comme nous. Aux privés, on pourra leur demander des comptes demain. Si on leur confie cette tâche, c’est comme si on leur donnait un agrément. En réalité, ils ont un agrément pour un temps donné. A la fin des agréments, on pourrait faire un bilan. De sorte qu’on puisse avoir une statistique sur le nombre de personnes qui est entré, sorti, revenu ou encore resté. En fonction de ces informations, on pourra décider de renouveler l’agrément ou pas. Chaque année, on pourrait donner des quotas à 3B Conseils par exemple, pour recruter 100 personnes pour la France, etc. On ne peut pas recruter une personne s’il n’y a pas le besoin. Ce n’est pas au pouvoir public de le faire, son rôle à lui, c’est de définir, de dresser et d’annoncer périodiquement les quotas. En fonction des quotas, chaque entreprise réalise ses entretiens. Nous, on forme les gens. Et, au niveau de la formation, le gouvernement peut intervenir. Au Sénégal, pour former les jeunes afin qu’ils s’adaptent lorsqu’ils arrivent ici, on peut avoir des financements du 3Fpt pour une formation de courte durée, d’un à 3 mois. Une fois que cela est fait, le cabinet s’occupe de tout le travail administratif pour permettre le voyage dans des conditions optimales. C’est le cabinet 3B Conseils qui s’occupe de l’hébergement. Il y a quelque chose d’important à souligner à ce niveau. Tous les employeurs ne peuvent pas héberger. C’est le cabinet qui s’en charge. C’est dans le cadre privé. Si ça ne marche pas, l’entreprise dit «on arrête». Ce sont des contrats de droit commun. Cela fait que le cabinet a à la fois la pression et l’obligation de faire correctement le boulot. Il va rendre compte au gouvernement. Je trouve qu’il faut juste une volonté de bien faire, sinon ce n’est pas compliqué.
Comme tous les autres, vous êtes aussi confronté parfois au refus du visa pour certains de vos travailleurs. Quel appel lancez-vous aux autorités ?
Je crois qu’avant de refuser le visa à une personne, on peut appeler l’employeur pour des vérifications de routine. Mais parfois, on refuse le visa sans ce préalable. C’est incompréhensible. Quand un employeur attend son travailleur et que ce dernier n’arrive pas, c’est inconfortable. Je pense qu’il faut mettre la question du visa, notamment de travail, dans le cadre d’une convention et dire que la migration régulière, on doit en parler. Dès qu’on parle de migration, on parle d’émigration irrégulière. Mais quand est-il de l’émigration régulière ? Pourquoi on n’en parle pas ? J’ai besoin de savoir. Il faut qu’on permette aux gens de voyager. Sinon, ils vont trouver d’autres solutions. Les autres solutions, tout le monde sait là où cela peut nous mener. Ce n’est pas souhaitable. Il faut oser parler de la migration régulière. C’est un sujet comme tous les autres. Osons en parler.
On assiste depuis la veille de la fête de la Tabaski, à une forte propension des jeunes à braver la mer pour atteindre les côtes de l’Europe, au risque de leur vie. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela traduit un sentiment de manque de confiance au pays et de la déception. Certains jeunes n’ont plus d’espoir. Parce qu’on sait tous que prendre le chemin de l’océan est un pari qui n’est pas gagné d’avance. Mais, ils sont prêts à prendre ce risque, au prix de leur vie. Nous devons revoir l’offre de formation, les opportunités d’emploi des jeunes… bref, les politiques publiques en faveur des jeunes et des femmes. Il y a trop de théorie, et on a besoin de concret. Imaginez-vous qu’il y a des programmes qui existent au Sénégal où on vous demande de recruter moyennant un soutien de 50% de l’Etat sur le salaire. Une fois que vous recrutez, vous pouvez rester plus de deux ans sans voir de remboursement. Vous voulez qu’on ait des emplois pérennes avec une telle pratique ? Ce n’est pas possible. Si l’Etat dit qu’il rembourse une partie d’un salaire pour accompagner l’insertion professionnelle, cela doit être mensuel. Il faut qu’on ait plus de rigueur dans nos programmes. C’est à nous de nous poser des questions parce qu’il y a vraiment besoin de faire des améliorations, malgré les nombreux investissements qui ont été consentis. On ne peut pas cependant parler d’échec au regard de ce qui se passe ou de l’actualité récente. Si on a eu le courage de repartir pour investir chez nous, c’est parce qu’il y a eu quelque chose qui a été fait. Cependant, je trouve qu’il faut améliorer, et cela s’inscrit dans le souci de bien faire les choses tout en prenant en compte les nouveaux paradigmes.
Il faut par exemple permettre aux populations de dire ce qu’elles pensent des projets et programmes par des questionnaires. Cela permet de mesurer également le degré d’impact, de pénétration et d’appropriation des projets et programmes au pays.
Quel message adressez-vous aux jeunes qui pensent que l’Europe est leur seule voie de salut ?
Nous avons un pays magnifique. Nous avons tout ce dont on a besoin chez nous. Vous avez le droit de voyager. Vous avez le droit de partir. Mais, il faut partir dans la légalité. Ce combat, c’est à nous de le mener. Mieux vaut mourir en menant ce combat que passer par les océans pour une destination incertaine. Il faut qu’il y ait des assises sur la migration. Qu’on instaure une discussion, des échanges sur cette problématique. Il faut aussi travailler à favoriser la migration circulaire et faciliter les documents de voyage aux Sénégalais. Les jeunes doivent croire en eux, mais l’Etat doit aussi faire preuve de plus de rigueur dans la mise en œuvre et la gestion des projets et programmes. Engager des discussions sérieuses avec la France et d’autres pays de l’Union européenne pour favoriser la migration irrégulière, c’est le meilleur moyen de lutter contre la migration irrégulière et de garantir une gouvernance partagée et inclusive des migrations. Pour visiter la France par exemple, vous attendez pendant presque 6 mois sans rendez-vous. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas faire preuve de respect. Il y a aussi une question de souveraineté nationale. Et ça, il faut oser le dire. Le dire n’est pas un crime. Il faut le dire pour en discuter, trouver des solutions.
Pourquoi avoir choisi particulièrement le secteur de l’entrepreneuriat des jeunes ?
Au Sénégal, tout le monde sait que l’Etat est le principal pourvoyeur d’emplois. Le privé n’occupe qu’une infime partie. J’estime que ce n’est pas le rôle de l’Etat et il urge de faire un rééquilibrage ou un inversement des rôles, en donnant plus de poids et de capacités aux privés. On a un problème car beaucoup de jeunes n’ont pas été formés ou d’autres formés mais n’ont pas de diplômes. A cela s’ajoutent les jeunes qui sont formés avec des diplômes et qui n’arrivent pas à s’insérer dans le monde du travail. Qu’allons-nous faire de tous ces jeunes-là ? L’Etat ne peut pas les embaucher tous alors que vous savez que le Cdi, c’est la règle. Il te permet d’avoir des crédits, entre autres, et on ne peut pas en donner à tout le monde. Par contre, on peut créer des entrepreneurs qui vont participer à l’effort de développement de notre pays. D’une part, ils vont cotiser pour l’Etat via la collecte des impôts, et d’autre part, ils vont absorber le nombre de demandeurs d’emploi. On n’a pas assez d’employeurs dans le pays et il faut en créer au maximum pour lutter contre le chômage des jeunes et permettre la création d’autres emplois.
Avec votre stratégie, quelle est la plus-value que vous apportez à nos politiques publiques pour mieux adresser les problématiques énumérées ?
Il faut déjà la formation et donner confiance à la jeunesse. A titre d’exemple, dans le cadre de mes missions, je me suis rendu à Ndiaganiao. Ce fut une belle expérience. Dans cette localité, on trouve des jeunes très engagés, qui ont envie de s’accomplir chez eux, mais malheureusement, ils n’ont pas d’aide. La seule chose qu’ils souhaitent, c’est d’avoir une personne qui leur parle et l’accompagnement qu’il faut. Cela fait aussi partie de ce que nous faisons. De faire comprendre aux jeunes que par la force du travail, à partir de là où tu es, tu peux t’en sortir. Nous faisons ce travail de formation, mais aussi de développement personnel pour pousser les jeunes à surmonter leur peur et avoir le courage de se réaliser. D’autre part, nous faisons un travail d’accompagnement pour les collectivités territoriales, notamment les maires, dans la mise en place de stratégie globale. Ce, par la création et l’accompagnement de petites entités entrepreneuriales qui vont grandir et se développer.
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes ont un problème pour avoir 500 m2 de terres, ne serait-ce que pour travailler. Dans la zone sud, vous avez des projets, du matériel, etc., mais lorsque les jeunes déposent un projet, c’est la croix et la bannière pour avoir un financement ou le matériel nécessaire. Cela montre qu’il y a une lenteur notoire dans le processus, ce qui fait que le jeune peut rester des années sans rien recevoir. Et pourtant, c’est une aide de l’Etat. On se positionne donc dans l’accompagnement des politiques publiques, dans la facilitation de l’obtention de ces aides ou financements pouvant permettre de changer la condition des jeunes. Du moment qu’on facilite le processus aux jeunes, le requérant n’a plus besoin d’attendre longtemps puisque le traitement est fait à temps. Derrière, nous aidons à créer des indicateurs de suivi sachant que parfois, c’est ce qui fait défaut. Pour savoir à quel moment il faut réajuster. En plus de cela, nous favorisons le partage de compétences entre le Sénégal et d’autres pays.
Par Pape Moussa DIALLO (France)