Souffrant de dépression et de slérose en plaque, l’islamologue suisse Tariq Ramadan, jugé à partir de lundi pour la première fois en Suisse pour « viol et contrainte sexuelle », veut « se battre » contre « le mensonge et la manipulation ». Et appelle à la barre Dieudonné comme témoin.
Il est arrivé souriant – chemise bleue à carreaux, manteau sombre – mais son procès devant le tribunal correctionnel de Genève s’annonce tendu. Signe des tensions, un paravent le sépare de la plaignante, à la demande de cette dernière afin qu’ils ne se voient pas.
« Ma cliente (…) s’attend à une confrontation difficile, douloureuse », a déclaré à l’AFP son avocat français, François Zimeray, ancien diplomate et spécialiste des droits humains.
La plaignante suisse, qui dit vivre sous la menace et souhaite donc être appelée sous le prénom d’emprunt de « Brigitte », avait une quarantaine d’années à l’époque des faits, qui remontent à près de 15 ans.
Elle assure que l’islamologue l’a soumise à des actes sexuels brutaux accompagnés de coups et d’insultes, le soir du 28 octobre 2008, dans une chambre d’hôtel à Genève où il l’aurait invitée. Ce qu’il a fermement réfuté, se disant victime d’un « piège » et assurant: « Je ne suis pas un prédateur mais victime d’un harcèlement ».
Tariq Ramadan, âgé de 60 ans aujourd’hui et menacé d’un procès en France pour des faits similaires, a reconnu l’avoir rencontrée mais affirme ne pas avoir eu de relations sexuelles avec elle.
« Dépression assumée, défense de la vérité revendiquée, je suis là parce que je vais me battre. Je ne vais pas me laisser faire par le mensonge et la manipulation », a-t-il déclaré lundi.
Très ému, il a poursuivi, parlant de lui-même : « Il y a eu une chute morale », avant d’assurer être « innocent », devant un public nombreux, parmi lesquel figuraient ses enfants: « Je n’ai jamais violenté personne ».
L’intellectuel suisse, figure charismatique et contestée de l’islam européen, risque entre deux et 10 ans de prison. Le jugement est attendu le 24 mai.
– « Confrontation difficile » –
La défense a révélé lundi qu’elle entendait faire venir témoigner mardi un ancien proche de la plaignante, l’humoriste controversé Dieudonné, dont le nom apparaît dans un courrier anonyme reçu par le tribunal.
Docteur de l’université de Genève, où il a écrit une thèse sur le fondateur de la confrérie égyptienne islamiste des Frères musulmans qui était son grand-père, Tariq Ramadan était professeur d’Etudes islamiques contemporaines à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, jusqu’en novembre 2017, et invité de nombreuses universités au Maroc, Malaisie, Japon ou Qatar.
Il a indiqué lundi souffrir de sclérose en plaque et de dépression et être en retraite anticipée, pour laquelle il reçoit une rente de l’université d’Oxford, évaluant son revenu à 36.000 francs suisses par an et sa fortune entre 700.000 à 800.000 francs.
En France, il est soupçonné de viols commis entre 2009 et 2016 sur quatre femmes, une affaire qui a déclenché sa chute en 2017.
Le parquet de Paris a requis en juillet son renvoi devant une cour d’assises. Il appartient aux juges d’instruction chargés des investigations d’ordonner un procès ou pas. Le dossier français lui a valu plus de neuf mois de détention provisoire en 2018, dont il est ressorti libre en novembre de la même année. Il reste sous contrôle judiciaire depuis.
Tariq Ramadan est tenu de résider en France, mais il bénéficie d’autorisations exceptionnelles de sortie du territoire français pour se rendre en Suisse.
Convertie à l’islam, « Brigitte » a indiqué durant l’enquête qu’elle avait fait sa connaissance lors d’une séance de dédicaces, quelques mois avant la nuit du 28 octobre 2008, puis lors d’une conférence en septembre. S’en était suivie selon elle une correspondance de plus en plus intime sur des réseaux sociaux.
Le soir des faits, elle l’a rejoint dans l’hôtel où il séjournait. L’islamologue assure l’avoir repoussée alors qu’elle se montrait « extrêmement entreprenante ».
« Comment vous expliquez qu’elle se montre entreprenante tout en ayant ses règles ? », lui a demandé le président du tribunal. « C’est à elle qu’il faut poser » la question, lui a répondu M. Ramadan.