Les « Baye Fall » constituent une branche dérivée du mouridisme. Ce sont des talibés de Mame Cheikh Ibrahima Fall, bras droit et fidèle compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme. Habits bariolés et coiffures en « dreadlocks », les « Baye Fall » ont une autre particularité : ils ne jeûnent pas pendant le mois béni de Ramadan. Ils s’acquittent de ce précepte de l’Islam d’une autre manière.
L’origine des «Ndogou »
« Tout est parti du compagnonnage entre Serigne Touba et Mame Cheikh Ibra Fall. Un jour, Serigne Touba, à l’approche du mois béni, avait demandé à son disciple Ibra Fall de réserver un accueil exceptionnel à un grand hôte, sans dévoiler son identité. En réalité, il s’agissait du mois de Ramadan », nous raconte Serigne Bara Mbodj, prêcheur des Baye Fall. Et c’est ainsi que le fondateur des « Baye Fall » a très tôt compris le langage codé de son guide.
Conscient de l’importance que son marabout accordait à ce mois béni de l’Islam, le Cheikh s’était résolu à cuisiner, quotidiennement, des mets à base de poulets qu’il proposait à son guide religieux, aux heures de rupture du jeûne. Les récits rapportent que le premier « ndogou » fut un coq. Depuis, les fils de Cheikh Ibra s’évertuent à perpétuer cet acte devant les fils de Serigne Touba. Et aujourd’hui, c’est au tour de ses descendants d’en faire autant avec ceux du Cheikh.
Le « Baye Fall » et le jeûne
Le jeûne est une obligation chez tout musulman. Une obligation dont nul musulman n’est dispensé, à moins que cela ne découle des prescriptions d’exception décrites par le Coran ou la Sunna du Prophète Mohammed (Psl). Et pourtant, les « Baye Fall » ne respectent pas cette pratique.
Certes, ils sont conscients que jeûner est une exigence pour tout croyant. Mais, malgré cela, ils affirment, sans état d’âme, que c’est un « ndigël » qu’ils appliquent, en passant outre cette recommandation divine. Car « Cheikh Ibrahima Fall, lui-même avait l’aval de son maître, Cheikh Ahmadou Bamba, de ne pas jeûner. C’était en récompense à ses actions de grâce et à sa dévotion envers le Seigneur, à travers lui, le Cheikh », nous confie Serigne Fallou Fall, neveu et bras droit de Serigne Cheikh Dieumb Fall, 7e et actuel Khalife général des « Baye Fall ».
Selon, Serigne Bara Mbodj, disciple et compagnon du 6e Khalife général des « Baye Fall », Serigne Modou Fallou Fall, disparu en 2006, « donner un « ndogou » est plus symbolique que jeûner, parce que toute personne peut s’abstenir de manger et de boire. En revanche, certains ne peuvent pas donner leurs biens, leur temps et leur corps dans la voie de Dieu : « Jeûner, c’est pour éduquer le corps et tuer les désirs. Car pendant le mois de Ramadan, le jeûneur se méfie de tout acte qui rompt avec l’islam, tel que l’adultère, le mensonge, la médisance, la rancune, etc. Ce qui devait être le comportement de tout bon musulman à tout moment et partout. Cependant, le « Baye Fall », lui, se concentre sur l’éducation de son âme qui témoignera de tout devant son Seigneur. Mame Cheikh Ibra Fall avait symbolisé ce credo », affirme-t-il .
L’histoire des « Koumtés »
Chez les « Baye Fall », on parle de trois « Koumtés ». Le mois est divisé en trois parties. Les « Koumtés » correspondent au 1er, 11e et 21e jour du mois de Ramadan. Pour ces journées, les repas préparés doublent voire triplent, comparé au niveau de la quantité des autres jours. Pour les « Koumtés », les menus sont, donc, revus à la hausse, avec un nombre considérable de viandes de poulet, de boeuf, de mouton. Toutes les familles de Mame Cheikh Ibrahima Fall se réunissent et assurent ensemble le transport des « ndogou » vers Touba et Ndiarème, à destination des descendants de Ahmadou Bamba. Le but est d’avoir la bénédiction du Khalife et de la famille de Serigne Touba.
La préparation du « Ndogou »
A la mythique cité de Palène à Mbacké, plus précisément à « Niarry Baye Fall », chez Serigne Modou Fallou Fall, c’est une foule immense qui se retrouve tous les jours, en ce début du mois de Ramadan. Devant la concession du marabout, habillés de tuniques de couleur bleu, communément appelés « Bollo Bakh », les disciples de la famille n’osent pas s’asseoir tant que la cuisson des repas n’est pas terminée. De grands groupes sont formés et chaque unité s’active autour de quelque chose.
Les femmes, logées à l’intérieur du quartier général, épluchent les oignons, les pommes de terre, les patates, les carottes. Elles lavent les condiments et les bols, alors que plusieurs autres dames s’affairent autour des marmites. La fumée jaillit de partout, le ciel est noir, la sueur coule des fronts au rythme des « Zik » scandés sans arrêt du matin au soir. A quelques mètres de là, il y a les hommes qui égorgent les moutons et les bœufs. Il s’agira ensuite pour eux, de dépecer les animaux, de partager la viande entre les différentes marmites déjà posées sur le feu.
De l’autre côté, d’autres « Baye Fall » galvanisent les fidèles qui se sentent un peu fatigués en ces termes : « mouride, ci ndiguel-li » (ô vous les mourides, votre part de travail pour la préparation du repas). Fait notoire, durant toute la cuisson, aucun « Baye Fall » ne goûtera à la sauce à base de viande. « Goûter à la sauce équivaudrait à donner au marabout des restes », explique une dame en pleine action devant une marmite. Vers 17heures, les repas sont prêts. Les bols sont disposés en file. Les « Baye Fall » les remplissent et les referment. « Le marabout vient pour les besoins de la supervision parce que, nous raconte-t-on, il faut qu’il s’assure que tous les plats sont bien faits. »
L’acheminement des Ndogou vers les maisons de Serigne Touba
18 heures pétantes à Palène, c’est le moment, plus que jamais, d’acheminer les mets sur Janatou Mahwa, chez le khalife des Baay Faal avant de rallier Touba et Ndiarème. Des véhicules sont disposés tout au long de la route. Serigne Amdy Fall Modou Mbenda Fall (actuel khalife) demande à ses frères cadets, Serigne Cheikh Ndiaya Fall, Serigne Cheikh Astou Fall et son neveu et bras droit Serigne Fallou Fall, de bénir le convoi dans la cour où sont exposés tous les bols.
« Le khalife a toujours des « dieuwrines » (bras droits) pour vérifier et contrôler les repas. Tout ce qui est destiné à la famille de Serigne Touba, requiert une vérification notoire pour nous « Baye Fall », nous explique Serigne Ibrahima Dia, porte-parole de la famille lors des « ndogou ». Ensuite, les repas sont disposés sur des camions en direction de Touba et de Ndiarème. Des scooters, moto-taxis Jakarta passent devant le cortège, klaxonnant et clignotant. Derrière le cortège, les chants ont repris de plus bel et iront crescendo au fur et à mesure qu’on s’approche de la mosquée.
Une fois dans la ville sainte, il est de coutume de faire le reste du chemin à pied. A pas cadencés, ils avancent, indifférents à la chaleur des récipients vers la mosquée de Touba. Autre fait notoire, durant leur passage, tous les véhicules sont déviés. Armés de gourdins, les « Baye Fall » ont une présence dissuasive pour libérer la route et permettre au cortège d’acheminer les repas chez les marabouts.
Après cette première journée de « Koumté », il en restera deux autres à venir. Ainsi va le Ramadan chez les « Baye Fall » de Touba.
Source: Baye Ndongo Fall