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[ENQUÊTE] Autorisation des OGM au Sénégal : Zoom sur les gènes de toutes les incertitudes !

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L’adoption en début juin dernier, de la loi régissant les Organismes génétiquement modifiés (OGM) au Sénégal continue de susciter une polémique ce, malgré les assurances de certains experts. Seneweb a mené une enquête pour tenter de dissocier la bonne graine de l’ivraie.

Le désastre des inondations de début août n’a pas emporté les amas d’interrogations sur l’adoption en urgence de la loi sur les Organismes génétiquement modifiés (OGM). Ce vendredi 5 août, Fatou Dianka, une caissière d’une célèbre banque de la place, n’est pas allée au boulot. Elle est coincée chez elle, par des précipitations. La jeune dame en a profité pour s’approvisionner en légumes dans un grand magasin sis à Hann Maristes 2.

Au milieu des étals où sont exposées toutes variétés de légumes, Fatou, la quarantaine environ, se laisse dominer par une série de questions soulevées par le débat sur les Organismes génétiquement modifiés. « J’ai peur, depuis quelques jours, on ne parle que des OGM, et on m’a dit que les autorités du pays les ont autorisés au Sénégal. J’espère que vous ne vendez pas ces types de produits », demande-t-elle, montrant au maître des lieux, à travers son smartphone, une boucle de vidéos sur Tik-Tok sur ce sujet. « Non Madame, je ne les vends pas », répond Alpha, commerçant d’origine guinéenne. « Rassurez-vous, moi je ne vends que des produits naturels », ajoute-t-il, d’un ton taquin.

A côté d’elle, se trouve Soukèye (nom d’emprunt). Elle est venue pour les mêmes besoins. Jeune cadre de l’administration, la question ne la laisse pas indifférente, même si elle se montre, tout de même, beaucoup plus sereine. Elle refuse d’être dans le bull du tragico-sensationnel. « Les gens parlent des OGM, mais ne comprennent rien au sujet. Le Sénégal ne l’a même pas encore expérimenté, même si la loi est adoptée », précise-t-elle, s’occupant à refermer son parapluie. La voix tremblante, les lunettes claires bien ajustées, elle tempère tout comme si elle voulait tout dégonfler. « Beaucoup de pays l’ont déjà expérimenté, si les effets étaient aussi nocifs, comme on le pense, ils allaient l’abandonner depuis », argue-t-elle. Son raisonnement semble obéir à une logique et rassure dans une certaine mesure Fatou.

Conséquences néfastes ?

Au Sénégal, depuis son adoption, le 3 juin dernier, le projet de loi n°08/2022 portant sur la biosécurité autorisant l’usage des OGM continue de susciter de vives polémiques. Chacun y va avec son propre commentaire sur les effets : « phénomène de l’homosexualité », « faiblesse sexuelle », « épidémies », entre autres « conséquences néfastes ».

Dans les réseaux sociaux, des néophytes et des spécialistes font le procès de la nouvelle disposition. Beaucoup d’entre eux n’accordent pas du crédit à l’exposé des motifs du texte soumis à l’appréciation des députés, par Abdou Karim Sall, alors ministre de l’Environnement et du Développement durable. A la vérité, ce dernier avait mis en avant la nécessité pour notre pays de « se conformer à ses engagements internationaux et de tirer le maximum de profits des avantages qu’offre la biotechnologie moderne ».

Sur le plateau de Walf Tv, fin août 2022, le professeur Cheikh Oumar Diagne, par exemple, n’y va pas par quatre chemins pour accuser le gouvernement de « haute trahison envers le peuple sénégalais ».

Les OGM introduits au Sénégal par une procédure d’urgence à l’Assemblée Nationale et sans débat le 03 juin 2022!!!!! pic.twitter.com/XJjNom9qWf

— l’homme plastique (@PropreSenegal) July 29, 2022

Dans une note, la dynamique pour une transition agro-écologique, regroupant de nombreuses organisations de la société civile, parmi lesquelles, Cicodev et Enda Pronat, regrette également que la loi passe presque en catimini. Sans l’implication les différents segments de la société, en particulier les agriculteurs et les représentants de la société civile. Pour cette organisation, l’adoption de cette loi expose les populations à un cocktail de conséquences sanitaires, économiques et environnementales. Selon elle, l’exemple du coton Bt au Burkina Faso est assez révélateur puisqu’il a fait perdre aux paysans cotonculteurs et à ce pays, respectivement leur principale source de revenus et d’importantes devises d’exportations. De plus, ajoute-t-elle, ces dernières années, les technologies utilisées pour modifier le génome ont montré des incertitudes quant à leurs effets à court et à long terme sur les individus et la biodiversité.

Position mitigée des spécialistes

Alors pour avoir une idée claire sur cette question, Seneweb a mené sa petite enquête, auprès des experts. Le Directeur général de la protection des végétaux (Dpv), Dr Saliou Ngom salue ce qu’il considère comme une avancée dans le domaine de la recherche scientifique. Il estime, en outre, que le Sénégal s’est engagé en autorisant les OGM, ce qui ne veut pas dire, selon lui, que le marché sera inondé en semences à base d’OGM. « Nous sommes dans un environnement de plus en plus changeant, non maîtrisé. Cela ne veut pas dire que nous, on va aussitôt utiliser les OGM, on prépare la biotechnologie avec tous ses outils, mettre en place des expérimentations et peut être attendre pour la génération future. Le fait d’abord ratifier le protocole de Cartagena, c’est évident qu’il passe à une étape supérieure », dit-il à Seneweb.

Le maître de recherches à l’Isra ne se fait pas de souci. D’autant plus qu’il la nouvelle disposition a intégré des garde-fous pour minimiser les risques. « L’objectif, c’est d’améliorer les rendements dans le domaine de l’agriculture. Parce que dès qu’on parle d’OGM, on pense aux semences, à l’agriculture. Il y a des techniques permettant aux plantes de résister aux insectes et aux herbicides. Et tant que ces objectifs ne sont pas atteints, on n’a pas encore un OGM », rappelle-t-il.

Sur les préjugés sur les supposés effets négatifs sur la santé et sur l’environnement, il se livre à un jeu comparaison en soutenant : « nous qui ne consommons pas les OGM, nous n’avons pas une espérance de vie plus élevée ou une santé meilleure que celle des Américains, des Chinois ou encore des Brésiliens qui sont de grands producteurs d’OGM ». A en croire le Dr. Ngom, aux Etats-Unis, 80% des Américains consomment des aliments à base d’OGM. Pourtant, ils ne sont pas plus faibles que nous.

Pour sa part, le professeur Saliou Ndiaye, ingénieur agronome, dit avoir écho des « des commentaires alarmistes » autour de la loi, même si, dit-il, celle-ci ne lui est pas encore disponible dans son libellé détaillé, pour lui permettre d’en connaître de façon approfondie son contenu. En tout cas, le spécialiste admet que les environnementalistes sont toujours préoccupés par l’introduction dans les milieux naturels de gènes ou d’informations génétiques nouveaux (ou tout autre organisme : espèce invasive), dont on ne saurait pas prévoir leur devenir plus tard. « Le monde agricole semble avoir pris en compte ces questions sur les OGM, avec divers pays développés qui l’ont adopté, bien que par précaution cela concerne plus des produits pas directement consommés par l’homme, mais plutôt par le bétail par exemple (cas du maïs Bacillus thuringiensis, cette variété est constituée pour l’essentiel d’OGM, pour ce cas des produits importés (Brésil par exemple, USA parfois sous forme de dons) », nous a-t-il confié.

L’enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’agriculture (Ensa), de l’Université Iba Der Thiam de Thiès, croit qu’il y a un véritable dilemme surtout dans ce contexte « d’incertitude alimentaire » au niveau mondial. « Mais le risque est aussi bien réel que face aux contraintes alimentaires de nos pays avec la crise de l’Ukraine, le fonctionnement des marchés mondiaux en produits stratégiques (céréales, légumineuses, fibres et textiles, etc.), que nos pays ne soient pas en mesure de contrecarrer l’avancée de ces OGM, sans une véritable législation sur ces questions de biosécurité », a-t-il notamment alerté.

A ce titre, Pr. Ndiaye plaide pour une meilleure préparation face au risque mondial d’un envahissement par les OGM. « Une démarche d’information du public et de partage des bonnes informations concernant ces OGM devrait être la meilleure stratégie ».

Interrogations autour du maïs doux

En tout état de cause, il est établi qu’une autre porte d’entrée des OGM, c’est l’aide alimentaire. Le Programme alimentaire mondial (Pam), organisme des Nations unies, a pour but d’apporter une nourriture à des pays en situation de famine. Pour la même raison que dans le cas des semences, cette aide alimentaire, sans être explicitement transgénique, l’est de fait puisque 60% de l’approvisionnement du Pam proviennent des États-Unis où aucune ségrégation des filières n’est systématisée au niveau de l’État. Le maïs transgénique cultivé aux États-Unis sert principalement pour le bétail. Or, comme le note Charles Benbrook, économiste agricole américain, « si les autorités de contrôle [des États-Unis] avaient pensé qu’une partie significative de la population consommant ce maïs le mangerait directement (en grande partie non transformé) et que de plus, le maïs représentait autant que la moitié des deux tiers de la ration calorique quotidienne, elles ne l’auraient jamais autorisé au regard des données, de cette époque, relatives à la sécurité des populations ». Personne n’a, en effet, envisagé quel pourrait être l’effet de ce maïs sur des personnes souffrant de malnutrition sévère ou chronique.

Au Sénégal, à l’instar de presque tous les autres pays africains, beaucoup de variétés de maïs sont importées, ou en tout cas, viennent de l’extérieur, particulièrement le maïs doux destiné à la consommation, même s’il est, aujourd’hui, très difficile d’avoir une idée sur leur caractère naturel ou génétiquement modifié. La question semble être très sensible.

Et si cela inquiète tant de spécialistes, c’est parce que le maïs doux est « le seul OGM autorisé à la consommation en tant que tel » en France, d’après le gouvernement. Et des conserves de ce maïs sucré, cueilli avant maturité complète, sont vendues dans le marché.

Interpellé sur la question, un importateur de produits alimentaires se contente de dire : « Je ne sais pas si c’est génétique ou naturel, mais j’importe du maïs que je l’écoule sur le marché, comme beaucoup d’autres commerçants ».

Inquiétudes d’un spécialiste de la santé publique

Techniquement, l’utilisation des OGM a-t-elle un réel impact sur la santé humaine ? Nous avons posé la question à un spécialiste de la santé publique. Sa réponse est sans équivoque : d’abord, il rappelle que « ces OGM ont des organismes vivants, dont on a modifié de façon non naturelle, c’est-à-dire par intervention de la main de l’homme, ses caractéristiques génétiques initiales, soit par addition d’un ou plusieurs gène(s), soit par suppression, remplacement ou modification d’au moins l’un de ses gènes ». Ce qui, selon lui, « impacte forcément l’équilibre écologique global, c’est pourquoi les OGM et les pesticides qu’ils peuvent contenir ont des répercussions sur l’environnement, la faune et la flore ».

Après cette déduction, tel un philosophe, le praticien soulève d’autres questions. « Que devient l’herbicide chez l’animal qui mange la plante, et chez l’homme qui mange l’animal qui a mangé la plante, ou qui boit son lait, ou qui mange ses œufs, etc… ? », s’est demandé notre interlocuteur, qui dit s’intéresser à cette question, soulignant, que « les herbicides associés aux OGM, comme le Roundup, ou leurs dérivés métaboliques sont connus pour se concentrer dans la chaîne alimentaire, notamment en se liant à l’ADN (chromosomes) des mammifères après ingestion, et un certain nombre d’effets secondaires liés à la concentration de ces molécules dans la chaîne alimentaire ont déjà été décrits ».

Concernant les semences, la Direction de la planification et des études économiques (Dpee) note que, pour la campagne agricole 2022-2023, l’Etat du Sénégal a maintenu inchangé les quantités de semences certifiées de maïs estimées à 3 000 tonnes. Mais, il nous revient qu’une bonne partie de ce maïs est importée. Comment ? En tout cas, conformément au Règlement C/REG.4/05/2008 du 18 mai 2008 portant harmonisation des règles régissant le Contrôle de qualité, la certification et la commercialisation des semences végétales et plants dans l’espace Cedeao, notre pays impose un certificat phytosanitaire, document conforme aux modèles préconisés par la Convention internationale pour la protection des végétaux (Cipv).

Si du côté du Ministère de l’Environnement, l’on rassure que malgré l’adoption de la loi, notre pays n’est pas encore en phase expérimentale, certains Sénégalais avertis doutent encore de la présence de ces gènes dans le pays. Dans les Niayes, des exploitants sont en marge de la polémique. Ils se préoccupent de fructifier leurs recettes. C’est du moins l’attitude renvoyée par Modou Fall Diagne, un cultivateur de maïs. « J’ai entendu parler de ces OGM, mais franchement nous n’en savons rien. On dit que la loi a été votée, mais on attend ce que les autorités vont décider. Nous avons lancé cette présente campagne avec nos propres semences issues de la production de la dernière campagne », déclare ce père de famille, qui compte, toutefois, « profiter pleinement » des avantages de ces OGM.

« D’après des informations reçues, cela nous permettra de pouvoir multiplier nos rendements alors on essayera de profiter de tout ça. Certains parlent d’effets néfastes, c’est pourquoi nous demandons d’être encadrés par des experts », a-t-il, par ailleurs, lancé.

Quoi qu’il en soit, dans un rapport rédigé à la suite d’une séance académique solennelle autour des « organismes génétiquement modifiés au Sénégal : état des lieux, enjeux et perspectives au Sénégal » du mardi 28 février 2017, l’Académie nationale des Sciences et techniques du Sénégal (Ansts) avait conclu qu’il «(…) est important de retenir qu’en tout état de cause, le public, notamment les consommateurs des produits OGM, seront les principaux juges. Par conséquent, ce public devra être bien informé sur la nature, les développements et le potentiel de la science face aux problèmes de la société moderne pour pouvoir accompagner les efforts de l’Etat ». Le débat est donc loin d’être tranché.

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